Je n’aurais pas dû le faire et pourtant…
Oui je sais je n’aurais pas dû le faire. La raison, ma raison aurait dû prendre le dessus et m’interdire de me lancer dans cette escapade nocturne à l’issue incertaine. J’aurais dû être raisonnable.
Mais non à ce moment précis, ma raison a été comme absorbée par un trou noir, pfiout d’un seul coup totalement disparue, comme abandonnée sur une autre route sous d’autres cieux. Ma raison, ma capacité à bien juger d’une situation et à prendre la ou les bonnes décisions, oui cette raison là s’est portée aux abonnés absents. Effrayant, euphorisant, …
A dire vrai elle a bien essayé, ma raison, de faire retentir une petite alarme dans mon esprit quelque peu effervescent à cet instant là : « non mais koto Mamadou, ça va pas dans ta tête, tu veux faire quoi ??? »
Mais c’est vrai au fait qu’ai-je donc fait de si déraisonnable ?
J’hésite encore à l’avouer car je n’en suis pas vraiment fier…. quoique après coup.
Partis à la « ville » à 35 kms pour faire des achats et en profiter pour faire quelques travaux sur mon véhicule, nous nous préparions à prendre la route du retour en toute fin d’après-midi. Comme souvent les imprévus avaient émaillé toute la journée et dicté leur timing.
Tant et si bien que le soleil fatigué de nous avoir martyrisé de ses rayons toute la journée était sur le point d’imposer son repos bien mérité et de disparaître derrière les monts foutaniens plus à l’Ouest.
Nous nous élancions alors sur la route confiant de rejoindre notre point de départ dans un délai raisonnable (moins d’une heure pour 35 kms cela semblait de l’ordre du réalisable) mais malgré tout avec une petite pointe d’appréhension : circuler de nuit au Fouta n’est jamais totalement anodin.
Mais après avoir parcouru moins de 10 kms depuis la sortie de la ville, je sentis progressivement que la pédale de frein ne répondait plus tout à fait comme elle aurait dû.
En fait très rapidement elle ne répondit plus du tout. Pédale au plancher, plus le moindre signe d’un quelconque ralentissement… Oups ! Pas bon, pas bon du tout…
Il devenait urgent de s’arrêter pour essayer de comprendre ce qui se passait ! Euh oui mais comment on fait pour s’arrêter sans frein. Heureusement une portion de route relativement plane et en léger dévers me permis de mettre le véhicule sur le bas côté et de ralentir suffisamment pour que mon copilote descende du véhicule et le stoppe totalement.
Très rapidement le diagnostic fut sans appel. Le liquide présent sur la jante arrière droite ne laissait aucun doute : le circuit de freins s’était totalement purgé. La bonne blague ! D’autant que c’était une des interventions du jour des « mécanos », vérifier les freins.
Ailleurs on aurait dit que c’était criminel, qu’on allait leur demander de nous rembourser et surtout de venir nous dépanner de toute urgence…. ! Là on a juste dit : « eh merde ! »
Ca pour sûr, on y était dans la m…
De nuit au beau milieu de la brousse sur une route quasi déserte à bord d’un véhicule sans frein et 25 kilomètres devant nous pour regagner nos pénates. Bon c’est vrai il y avait bien quelques vaches profitant encore de la chaleur du bitume pour nous tenir compagnie, mais elles nous furent d’un bien maigre réconfort.
« Hein mesdames les vaches, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?? Vous n’auriez pas une vachement bonne idée à nous beugler à l’oreille ? Hein, quoi ? Meuh….. Ah ouais avec ça on est bien avancé. »
Mais vous avez raison le panel des choix pour nous sortir de cette situation inconfortable était de fait restreint : pas de réseau ou si peu pour un appel au secours (et d’ailleurs pour appeler qui ?), pas de SOS dépannage en vue, et pas plus de mécano ; pas de passage (en tout cas pas depuis que nous étions arrêtés…) ; pas de village à proximité immédiate (même si votre présence laissait supposer qu’il n’était pas si loin)
Alors à part dormir en cette meuglante compagnie sur le bord de la route en attendant un hypothétique secours, une seule option s’est rapidement imposée à nous ; certes non raisonnable mais …
J’ai donc remis le moteur en marche, allumé les phares procurant un éclairage étique mais qui avait l’avantage d’exister et vogue la galère, roule la misère, j’ai repris la route.
Première, deuxième, … ah non pas la deuxième.
Pour ceux qui connaissent les routes du Fouta, je vous laisse imaginer la montée d’adrénaline qui m’assaillit à cet instant. Et oui les portions planes et droites sont plutôt rares dans le coin. Alors être au volant d’un véhicule sans l’option frein et doté d’un éclairage quelque peu approximatif, je vous assure que je ne faisais pas le fiérot.
Pourtant malgré tout, j’étais confiant dans l’issue de cette escapade.
« Euh koto Mamadou, ta pensée raisonnable, elle est aussi en option ? »
Bref. Restait juste à trouver le bon équilibre entre la nécessité d’avancer et celle de limiter les risques de collision ou de sortie de route.
Heureusement la route semblant toujours aussi déserte, comme si elle avait été fermée pour nous, les risques de faire une rencontre surprise non maitrisable apparaissaient relativement limités.
Nous avons donc progressé ainsi, la nuit nous enveloppant de son obscurité oppressante, concentré sur les quelques mètres nous devançant, faiblement éclairés par les phares de notre véhicule.
J’ai eu l’impression d’être dans un manège de fête foraine, genre « le train fantôme », attendant à tout moment qu’un imprévu, qu’un obstacle surgisse de l’épaisseur de la nuit. Flippant ! bien plus que ledit manège soit dit en passant.
Le compteur de vitesse bloqué sur zéro depuis bien longtemps, je ne sais à quelle vitesse nous progressions mais nous avons malgré tout parcouru les vingt et quelques kilomètres sans incident majeur ; tout juste évité une vache qui semblait vouloir nous faire payer notre imprudence en nous poussant vers le bas-côté et laissé passer un véhicule nous arrivant un peu vite par l’arrière et qui compris un peu tardivement que nous avancions au pas (désolé pour les warnings, en panne depuis, depuis…).
Voilà donc je n’aurais pas dû et pourtant je l’ai fait.
Alors inconscience, bêtise, à la limite de l’acte criminel ? Peut-être bien un mélange de tout ça.
Encore aujourd’hui je me pose la question. Et si j’avais provoqué un accident lors de cet aventureux parcours retour ?
Encore aujourd’hui je me demande si me trouvant dans les mêmes circonstances au même endroit, je referais le même choix ?
Et bizarrement, je crois que oui.
Et vous, vous auriez fait quoi ?