C'est à partir de Kédougou au sud-est du Sénégal que je retrouve un peu de relief ; ça commençait à être bien trop plat ce voyage, excepté dans l'Adrar Mauritanien.
J'arrive à un village du bout du monde, Dindefello, la fin de la route. C'est à partir de là que je rejoindrai un autre bout du monde, une autre fin de route, mais cette fois en Guinée, la ville de Mali.
Pour cela il me faudra réaliser en tant que copilote un rallye moto puis escalader à pied une muraille monumentale : les contreforts du Fouta Djalon.
La veille du départ, je passe une nuit agitée. Encore une nouvelle étape, un petit saut dans le vide sans savoir où je mets les pieds. Je ne sais finalement même pas quel paysage, je vais rencontrer et quelles galères non plus, évidement.
5h30, lever au chant du coq et au premier appel à la prière. La nuit, dont le fin croissant de lune horizontal s'est couché, est encore noire et les étoiles brillent.
En attendant le mec en moto qui va m'avancer sur une bonne trentaine de bornes, je frissonne sous mon sweat. J'aurais peut-être dû mettre ma polaire ; je refais un tour de cou avec mon chèche, rabats ma capuche et sautille les mains dans les poches. Les chèvres, que j'ai côtoyées ces derniers jours, font du bruit en farfouillant vers l'endroit où la famille fait cuire les plats, en renversant je ne sais quoi.
Et puis c'est parti ! A l'arrière de la moto je me cramponne et devant nous déroulent, sous les phares, les chemins en terre. J'ai l'impression que mon chauffeur veut profiter de la moindre ligne droite où la route n'est pas trop pourrie, pour accélérer à fond. Ca donne de sacrés bonnes sensations au réveil. Je dois descendre pour les montées trop sèches lorsque le pilote ne le sens pas. Franchement je suis content qu'il soit costaud et qu'il soit, me semble-t-il, expérimenté car il rattrape à chaque fois la stabilité de l'engin dans les passage caillouteux ou sableux. Il gère ça parfois au dernier moment avec ses pieds, et en Tongue s'il vous plait !
Je regarde donc un nouveau levé de jour avec les roses fluo, la coloration de l'environnement et le cercle de métal en fusion qui sort. On traverse des rivières, dans les petits chemins les hautes herbes me fouettent un peu trop les tibias.
Arrivé à un village où la douane guinéenne est installée, je m'attends au pire. Les deux premiers gendarmes qui sortent d'une cabane en bambou n'ont franchement pas l'air sympathique. Ils commencent par mal parler au chauffeur. Ils nous amènent à leur chef qui sort d'une cabane similaire en short de jogging et avec une haleine qui révèle son adhésion au café éthylique au réveil. Et à ma grande surprise, le gars était nickel. J'avais tout en ordre faut dire, visa et carnet de vaccination (hahaha ce carnet ! Ne jamais l'oublier!). Ca m'a fait vraiment plaisir que tout se passe bien. Mon chauffeur lâche des petits billets pour sa moto (qui n'avait pas de laisser-passer officiel), aux plantons et nous voilà repartis.
Quelques accélérations plus tard, on s'en rapproche… La masse montagneuse se découpe au loin dans des tons bleus Cévennes. En se rapprochant, les détails se dessinent et la muraille grandit. C'est presque en se marrant que mon taxi me laisse dans la cambrousse en me souhaitant bonne chance.
C'est donc parti pour 4h de montée avec mon sac de voyage sur le dos. Heureusement à chaque palier le paysage époustouflant récompense l'effort.
Vers le milieu de la montée, je traverse un tout petit village et ne sais plus vraiment quelle route prendre. Un vieux me remet sur le bon chemin en me tchatchant en poular, puis il me fait tomber quelques oranges -qui sont d'ailleurs généralement bien plus verte qu'orange- de son arbre et m'accompagne encore quelques mètres.
Ce n’est qu’après un passage particulièrement rude que je les entamerai.
Et là mes amis, je peux dire que ce fût la meilleure orange de ma vie.
Quelle décharge en énergie !
Me voilà donc sur le Fouta-Djalon, le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest, il y fait agréablement plus frais et il semble y avoir de nombreux paysages impressionnants et des cascades en pagaille. Bien que cette région de la Guinée semble un peu plus difficile d'approche par son développement moins important, il semble y avoir un sacré potentiel pour barouder.
Ah ouais et j'ai vu un caméléon ! C'est pas du tout rapide comparé à d'autres lézards, ça essaie de se cacher pour pas que tu le vois (il tourne sur la branche par exemple), sa queue est tout enroulée comme une réglisse, et les yeux qui roulent dans tous les sens et ne te perdent pas de vue.
Il paraît qu'il y a des chimpanzés dans ces zones mais c'est bien mieux pour eux de ne pas les voir. L'une des choses désolantes c'est le recul de la forêt du fait des feux de brousse, accidentels ou pour faire des cultures, on coupe également par endroit les petits arbres pour faire du bois de chauffe notamment pour cuisiner.
A la « Douckiverte » du Fouta
Après être passé à la ville de Mali, voir la Dame du mont Loura avec son profil ancré dans la falaise, descente sur Labé, puis direction Dalaba avant de remonter vers Pita et enfin me diriger vers Doucki.
Doucki, c'est un petit bled du Fouta qui a deux grands attraits. Le premier c'est d'être entouré par des sites naturels à couper le souffle et le deuxième, c'est d'avoir un gars du village qui a su profiter de cette chance et développer un tourisme de découverte. N'imaginez pas un déferlement de gens avec des parkings à rallonge comme au Gros-du-Roi un 15 aout ou des cars de Chinois déversant leur flot d'appareils photos ; il y a seulement 3 à 4 cases d'accueil et une moyenne de visite autour de la dizaine de personnes par mois.
Ce ne sera pas le récit le plus aventurier de ce voyage, mais j'ai tellement apprécié le paysage que j'en rigole encore de plaisir.
J'y ai passé deux jours à marcher dans la cambrousse, à monter et à descendre des grandes collines et des massifs rocheux tout en se rafraîchissant par moment au bord de cascades en se baignant dans d’accueillants trous d'eau.
Dans ces longues marches j'étais guidé par Abdou, le frère d'Hassane Ba, le gars qui tient l'auberge. Bien que je n'aime pas vraiment suivre un guide, pour voir tous ces endroits ce fut bien nécessaire. C'est vrai qu'avec un guide, je suis moins attentif à ce qui m'entoure, c'est un peu comme grimper en moulinette en escalade, je réfléchis moins.
Au petit matin, après avoir laissé dernière nous les dernières cases dispersées du village, nous débouchons sur un joli panorama. Nous venons juste de commencer, ne sachant pas à quoi m'attendre je suis déjà agréablement surpris par la beauté du paysage, si j'avais su ce que nous rencontrerions ensuite j'aurai gardé de l'enthousiasme car nous allons aller crescendo dans le sublime.
Je vous arrête de suite.
Tout le monde sait que la beauté est subjective, cet endroit m'a vraiment plus car il correspond à une certaine nature que j'apprécie le plus : de grands espaces avec du volume, de la forêt et des zones dégagées, tout cela parcouru de rivières. Bien que ce paysage ne puisse passer comme banal pour quiconque, certains pourraient le trouver simplement jolie.
Le soleil bas du matin qui brille en face de nous, nous voile les détails du panorama tout en surlignant le relief. Nous attaquons la descente dans cette large cuvette. Au milieu se tient un énorme îlot rocheux d'une petite centaine de mètres de haut, le rocher des hyènes. Parait-il qu'avant les hyènes du coin s'y rassemblaient.
A ses pieds, on peut voir à contre jour un arbres mort et tordu entouré de terre noircie par un feu de brousse et encadré par d'autres formations rocheuses de moins grande envergure. Ce décor donne plus d'impact au nom du lieu. On s'attend même à voir des ossements d'éléphants et à entendre ricaner les hyènes, comme dans leur repère dans le « roi Lion » (désolé pour les références, chacun son époque, mais je vous rassure je ne connais pas une seule des chansons par coeur).
Lorsque l'on passe sur le côté je peux enfin contempler les détails de la roche. Il y a de belles fissures qui le parcours et de nombreuses irrégularités sculptées par le temps, qui en feraient un sacré putain de bon spot d'escalade. En regardant les autres éperons rocheux au formes biscornus tout autour, je me rends compte qu'il y a un potentiel énorme pour ce lieu au niveau de la grimpe. C'est un eldorado de l'escalade. Les immenses falaises de plus de 200m de haut plus loin me le confirmeront. Peut-être cela sera un futur filon de développement.
Dans cet environnement, je saute de rocher en rocher, je parle beaucoup à Abdou en lui expliquant ce délire d'escalade, lui paraît sceptique et trouve cela un peu dangereux tout de même. Je sifflote des chansons et nos pas nous entraînent jusqu'à la fin de la cuvette qui donne sur une grande vallée. Je rigole en contemplant ce paysage tellement il me plaît. Nous sommes au bord d'une falaise d'une centaine de mètres de haut.
Par un petit sentier nous amorçons la descente. Le chemin rejoint un torrent qui se transforme par endroit en cascade. Nous suivons cette source, qui sort un peu plus haut de la roche. Il faut se baisser par endroit pour ne pas se cogner au plafond créé par un grand surplomb rocheux. Nous nous désaltérons et remplissons nos bouteilles à cette eau fraîche et pure. Après une pause sur un grand balcon ombragé avec une vue imprenable sur la vallée, nous finissons la descente.
J'ai maintenant dans la tête Bob Dylan « The answer my friend is blowing in the wind, the answer is blowing in the wind ».
Arrivés en bas, nous longeons cette grande muraille de 200 mètres de haut. Nous traversons quelques cours d'eau, qui proviennent de fines cascades sortant des failles de la falaise. Il y a quelques cultures et encore de belles vaches. C'est en expliquant à Abdou la corrida tout en marchant et en attrapant mon appareil photo que ce petit coquin, sûrement aimanté à l'inverse de mes mains, se jette à terre (pas Abdou hein, l'appareil). Plus de photos pour le reste de la balade ! J'arriverai le soir à le réparer mais la lentille à pris un pète et une tache noire dans le coin gauche de l'objectif reste permanente. On dira que ça fait un effet vieilli, ou encore qu'il y a eu un problème lors du développement de la pellicule. Cet incident qui a entamé ma volubilité et déclenché des grognements intérieurs, me fait traiter de couillon les gens qui lâchent leur chien dont j'entends les aboiements dans cette nature. C'est en voyant une branche d'un arbre secouée fortement que je me demande pourquoi les doggys d'ici vont se foutre dans les arbres. Et puis je vois les petits, les plus curieux qui pointent le bout de leur nez et qui s'enfuient en vitesse. C'est un troupeau de singes qui est un peu plus haut et dont certains aboient comme le ferait des chiens.
Après une bonne heure de marche dans la vallée, nous nous rapprochons de l'immense falaise. C'est par une fissure d'une dizaine de mètre de large que nous allons grimper à son sommet.
Un sentier qui remonte un torrent devient de plus en plus pentu. Plus nous montons, plus nous avançons au cœur de la faille, qui nous encadre de chaque côté de grands pans de falaise.
C'est là que rentre en scène les fameuses échelles de bois. De trois à une douzaine de mètres de hauteurs, une dizaine d'échelles jalonnent la montée. En fait le mot échelle est utilisé car c'est un moyen pour monter, fabriqué par l'homme mais cela ne ressemble pas vraiment à des échelles classiques. Ce sont des grands fagots de longues branches de la grosseur d'un bras, qui sont reliés entre eux par endroit avec des lianes torsadées qui les entourent et qui servent d'échelons. En grimpant la plus aérienne, j'ai moi-même eu un petit moment de doute et de frisson. Les villageois d'ici les grimpent avec un chargement sur la tête.
Devant moi un enchaînement de trois échelles qui se superposent avec sur le côté le ruisseau se transformant en cascade sur quelques dizaines de mètre projetant de l'eau aux alentours. Lorsque je me retourne, les parois du côté de la faille encadrent une vue lumineuse sur la vallée en contre bas. Il fait frais ce qui est agréable dans cette longue montée.
La dernière échelle, au milieu d'une petite grotte monte dans le vide et débouche par un trou sur la plateforme supérieur. En levant la tête au dessus, je vois qu'il pleut malgré le grand soleil. Ça y est je re-rigole. Tout y est, le bruit de l'averse, le rideau de pluie et le sol aux alentours détrempé.
Après être arrivé à bout de la partie la plus raide de la montée et avoir dépassé le haut de la falaise, la marche reprend entre des rochers aux formes travaillées, les mêmes hautes herbes jaunies et quelques arbres.
Nous profitons de la fraîcheur d'une rivière avec une petite cascade et quelques trous d'eau pour faire la pause déjeuner. Après avoir grignoté, m'être baigné dans cette eau fraiche et avoir marché plusieurs heures je suis complètement détendu.
Assis au soleil qui me réchauffe, je me demande si l'on peut être plus relaxé et serein.
Même si c'était bien canon, je ne raconterai pas l'autre journée de marche avec sa grande cascade qui donnait sur un panorama impressionnant et l'endroit où de grandes roches se rapprochaient pour former d'étroits canyons et dont la surface était parcourue par de longues racines.
Moon shine.
En fin de journée, en rentrant de la marche, le ciel commençait à prendre ses couleurs du soir, la partie ensoleillée des collines diminuait petit à petit. C'est en me retournant que je la vis faiblement dessinée dans le ciel encore clair.
Une énorme pleine lune.
Je me retourne pour le dire à Abdou, qui me dit « no, no it's not the moon ». Je la regarde et j'ai pendant une fraction de seconde le doute que ce n'est pas la lune. J'ai alors un flash-back d'un rêve où je montrais à quelqu'un qui ne voulait pas me croire la troisième lune qui était dans le ciel.
La lune immense qui cette fois-ci ne s'est pas pomponnée en rousse, sort, majestueuse. Elle aperçoit le soleil qui lui ne la voit que trop tard. Les couleurs d'embrasement du ciel prouvent bien qu'il a mis toute son énergie pour freiner et retrouver sa belle. Malheureusement, emporté par sa course, il finit par disparaître à l'horizon. La lune qui ne s'était pas fait belle pour rien, va briller de tout son éclat toute la nuit. Elle en éclairera le ciel autour d'elle à y voir les quelques nuages comme en plein jour. C'est en la regardant que je vais me coucher, tout de même un peu triste pour elle.
En sortant de ma case le matin à l'aurore, je la vis qui faiblissait au loin ; elle avait du l'attendre toute la nuit en se rapprochant de l'endroit où son astre avait disparu la veille, ses derniers espoirs étant entrain de s'évanouir là où même le beau soleil s'était couché.
Ce con là apparut quelques instants après de l'autre côté : « trop tard mec t'as encore raté ton coup, j'lui dis, c'est franchement dommage elle était magnifique en plus cette nuit ».
Lui rouge de honte en prenant conscience de son retard, s'éleva péniblement petit à petit dans le ciel.
A quand notre prochaine rencontre ? pensait-il amèrement, tout en se rappelant la dernière fois où il l'avait embrassé le temps d'une éclipse.
Quelle émotion !